Le droit pénal français réprime toute violation du secret des correspondances. Autrement dit, il est interdit de détourner, de supprimer, de retarder ou encore de prendre connaissance des correspondances adressées à un tiers. Et, sauf cas prévu par la loi, cette interdiction s’applique également aux personnes dépositaires de l’autorité publique (les gendarmes et les policiers, notamment) dans l’exercice de leurs fonctions. Mais que faut-il entendre par correspondance ? Et jusqu’où la confidentialité des échanges est-elle garantie ?
Dans le cadre d’une permanence pénale au Tribunal de grande instance (TGI) de Brest, un avocat représentait 2 clients placés sous escorte policière. Dans l’attente du délibéré du tribunal, l’avocat avait remis, à chacun de ses clients, un bout de papier plié en deux sur lequel il avait inscrit ses coordonnées. Le sous-brigadier de police, chef de l’escorte, avait alors demandé aux détenus de lui remettre le papier qui leur avait été donné par l’avocat et en avait pris connaissance.
Estimant que le chef de l’escorte avait contrevenu au respect de la confidentialité des échanges avec ses clients, l’avocat avait successivement saisi le procureur de la République de Brest, le doyen des juges d’instruction du TGI de Brest, la Cour d’appel de Rennes, puis la Cour de cassation. Pour autant, l’avocat n’avait pas obtenu gain de cause, principalement au motif que la remise, à ses clients, d’un bout de papier plié en deux n’était pas considérée comme une correspondance dont la confidentialité était protégée par le droit pénal français.
Ayant épuisé toutes les voies de recours internes, l’avocat avait déposé une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme. Il estimait, en effet, que l’interception par le chef d’escorte des papiers remis à ses clients s’assimilait à une violation du droit au respect de la correspondance garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. Une analyse que les juges européens ont confirmée. Pour eux, une feuille de papier pliée en deux, sur laquelle un avocat a écrit un message, remise par cet avocat à ses clients doit être considérée comme une correspondance protégée. Et l’interception de ce message par un policier équivaut à une ingérence dans le droit au respect de la correspondance entre un avocat et ses clients. Les juges ont ainsi reconnu la violation par l’État français de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
En complément : les juges de la Cour européenne des droits de l’Homme considèrent que l’ingérence dans les correspondances des détenus est légitime lorsque les autorités pénitentiaires ont des motifs plausibles de penser qu’il y figure un élément illicite non révélé par les moyens normaux de détection. Ce qui n’était pas le cas dans cette affaire.
CEDH, affaire Laurent c. France, 24 mai 2018, requête n° 28798/13